Quand la misère du sud s’invite au nord

Par Jean-Marc Lord, collaboration spéciale

Bidonvilles occidentaux

Le 29 février dernier, les autorités françaises ont débuté le démantèlement du camp de Calais, au nord de la France, une enclave de 4 kilomètres carrés où s’entassent entre 4000 et 6000 réfugiés. Bidonville coiffé du drapeau tricolore, le camp de Calais, surnommé la «jungle» ou le camp de la Lande – référence au camp de la Lande à Monts où, durant la Seconde Guerre Mondiale, des centaines de juifs furent emprisonnés avant d’être déportés vers Auschwitz – ce camp, donc, nous rappelle que les bidonvilles ne s’érigent plus uniquement au sud de l’hémisphère.

À l’heure où plus de la moitié de l’humanité réside dans les centres urbains, les bidonvilles pullulent sur la planète. À Bombay, en Inde, la zone Dharavi enclave plus de 800000 personnes. Au Kenya, entre 500000 et un million de personnes (300000 au kilomètre carré) ont trouvé refuge dans le Kibéra, le plus grand bidonville d’Afrique. À l’échelle planétaire, on estime que 16% de la population vit dans les conditions d’insalubrité inhérentes aux bidonvilles.

Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), pour pallier à la demande de logements à l’échelle planétaire, il faudrait construire 96150 unités d’habitation par jour jusqu’en…2030! Depuis quinze ans, 55 millions de personnes sont nées dans un bidonville, gonflant le nombre total de «bidonvillois» à près d’un milliard d’individus, hommes, femmes et enfants.

Du sud vers le nord

Cette réalité se concrétise désormais de plus en plus dans l’hémisphère nord. Par exemple, en France, selon Médecins du monde, 19200 personnes vivent dans 429 campements de fortune illicites, la plupart dépourvus de système de gestion des déchets, voire d’infrastructures sanitaires. En Espagne, uniquement au sud de Madrid, 40000 personnes, dont la majorité est d’origine marocaine, fourmillent dans le bidonville Cañada Real Galiana.

Dans la «jungle» de Calais, les réfugiés débarquent généralement de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak et du Soudan. Environ 10% sont des femmes et, déjà, l’on dénombre quelques naissances sous les tentes bleues dressées en bordure de l’autoroute. Tous souhaitent traverser la manche vers l’Angleterre où ils pourront, du moins l’espèrent-ils, dénicher du travail et reconstruire leur vie sur des assises plus solides. En attendant, ils patientent dans la boue du camp de Calais, classé bidonville selon les critères de l’ONU, soit: un lieu ayant un accès inapproprié à l’eau potable et aux infrastructures de service, où sévit une instabilité structurelle des logements et où survit une surpopulation ayant un statut résidentiel incertain.

En matière de bidonville, l’Italie, dont les frontières maritimes sont à proximité des côtes africaines, n’est pas en reste. Par exemple, dans le talon de la botte italienne, précisément dans la région des Pouilles, ils sont nombreux, les apatrides en provenance d’Afrique, à camper dans des abris de fortune dépourvus d’eau potable et de système électrice, érigés entre deux montagnes de déchets. Idem en périphérie de la ville de Rome, où ce sont principalement des familles péruviennes et équatoriennes qui, avec les matériaux du bord, ont construit des cabanes insalubres où ils s’entassent tant bien que mal.

De ce côté-ci de l’océan Atlantique, les États-Unis ne font pas exception. Aux quatre coins des terres de l’oncle Sam, ils sont près de 650000 personnes réfugiées dans des tent city – villes de tentes – faute d’avoir les ressources pour se loger dans une habitation «dures». Parmi eux, des Américains de souche, mais également des immigrants illégaux, dont 76% provient du Mexique ou de pays d’Amérique latine comme le Salvador, le Guatemala et le Honduras. Autant de personnes venues du sud et au statut précaire, donc susceptibles de se retrouver, malgré elles, dans des bidonvilles à ciel ouvert.

Au nord comme au sud, les «bidonvillois» ne sont ni propriétaires, ni locataires. Par leur statut illégal, comme une épée de Damoclès, ils risquent d’être expulsés vers leur pays d’origine, parfois manu militari. Au camp de Calais, les premiers réfugiés ont été redirigés dans un autre camp qui, cette fois, respecte les normes internationales de salubrité. Plus de 200 cabanons de bois ont en effet été érigés dans la commune de Grande-Synthe, à une quarantaine de kilomètres de la Lande. Un peu plus de 2000 personnes, dont les premières sont arrivées le 7 mars dernier, pourront y être logées temporairement sous la supervision de l’organisation Médecins sans frontières. Une première en France.

article publié dans le nouvelliste, édition du 12-13 mars 2016, page 18.