«Épidémie» de féminicides

par jean-marc lord, collaboration spéciale

Maria José Alvarado avait 19 ans. En novembre 2014, celle qui portait l’écharpe de Miss Honduras, a été froidement assassinée par le petit ami jaloux de sa sœur, Sofia. Cette dernière est également tombée sous les balles. Les deux jeunes femmes dansaient lors d’une fête d’anniversaire lorsque l’assassin les a entraînées à l’écart et a fait feu. Froidement. Avec 90,4 meurtres pour 100000 habitants (1,45 au Canada), le Honduras détient le record mondial d’homicides dans un pays en situation de paix. Idem en ce qui à trait aux féminicides.

À l’instar de l’homicide, qui est «l’action de tuer un être humain», le terme féminicide a été inscrit en 2013 dans la législation hondurienne afin de pointer du doigt les crimes basés sur le genre. Si le féminicide est, au Honduras, passible d’une sévère peine d’emprisonnement, l’impunité est cependant monnaie courante, puisque 98% des féminicides demeurent lettre morte.

Au Honduras, le meurtre de Maria José Alvaradoaurait pu être un fait divers parmi une kyrielle d’autres entrefilets de même nature. Il serait certainement passé sous le radar médiatique si Mlle Alvarado n’était pas Miss. Un quasi fait divers qui rappelle que la situation des femmes dans ce pays d’Amérique centrale est parmi les pires du continent, le nombre de féminicides ayant quadruplé depuis 2005.

Dans cette république de 8 millions d’habitants, une femme est assassinée à toutes les 14 heures. En 2013, le taux de mortalité violente chez les femmes atteignait 12 féminicides pour 100000 habitants. À compter de 8,8 meurtres pour 100000 habitants, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère qu’il y a «épidémie» en la demeure. Ainsi, au sordide tableau des féminicides, le Honduras détient la palme d’or. Entre 2005 et 2013, le nombre de meurtres de femmes a grimpé de 263%.

De l’avis du Centre des droits des femmes du Honduras, deux problématiques sociales sont à la source de cette situation: le machisme latent qui gangrène la société, ainsi que la présence grandissante des Maras, ces bandes armées qui utilisent le meurtre des femmes pour envoyer un avertissement à leurs rivaux, voire comme rite d’initiation des nouveaux membres.

AILLEURS EN AMÉRIQUE LATINE

Les pays d’Amérique latine se suivent à la queue leu leu lorsqu’il s’agit du sort qu’ils réservent à leur gente féminine. Derrière le Honduras, le Salvador et le Guatemala occupent respectivement la deuxième et la troisième place. À San Salvador, les féminicides sont légions, et l’augmentation de leur nombre coïncide généralement avec la montée en puissance des Maras. Entre 2010 et 2013, 2250 Slavadoriennes ont été assassinées parce qu’elles étaient des femmes. En juin 2015, en Argentine, la population se mobilisait afin de dénoncer le taux croissant des féminicides dans ce pays où une femme meurt toutes les 31 heures.

À l’heure actuelle, une quinzaine de pays d’Amérique latine reconnaissent désormais le féminicide comme un caractère aggravant de l’homicide, bien que, dans les faits, les tribunaux retiennent rarement cette distinction.

AILLEURS DANS LE MONDE

Par comparaison, notons qu’à tous les trois jours, une femme européenne est tuée par son compagnon ou son ex-petit ami. En Asie, ce sont plutôt les féminicides à la naissance qui sont plus courants, les familles privilégiant les garçons par souci économique et pour des raisons culturelles. Résultat: 100 millions de femmes manquent aujourd’hui à l’appel. Elles pourraient être 200 millions d’ici un quart de siècle.

Exemple typique de féminicide, cette fois au Canada: la tuerie de l’école Polytechnique de Montréal. Le 6 décembre 1989, 14 femmes tombaient sous les balles de Marc Lépine uniquement parce qu’elles étaient des femmes. Certains considèrent également la mort ou la disparition des 1181 femmes autochtones entre 1980 et 2012 (3 femmes par mois) comme autant de féminicides canadiens passés sous silence.

Retour au Honduras. Symbole de la banalisation sociale du féminicide, Maria José Alvarado et sa sœur ont été assassinées devant témoins. Aucun n’a jugé bon alerter les policiers. Lorsqu’il a été arrêté, l’assassin affichait un large sourire, narguant même les caméras. La mère des deux victimes, elle, craint qu’il n’achète sa liberté au prix de quelques pots-de-vin.

Article publié dans le nouvelliste, édition du 9-10 avril 2016, page 27.