La souveraineté alimentaire

par olivier gamelin, la gazette de la mauricie, avril 2016

Sommes-nous souverains dans notre assiette?

Certains croyaient la table de la souveraineté alimentaire bien mise, à l’heure où la planète produit assez d’aliments pour nourrir ses sept milliards d’habitants. Pourtant, à l’échelle mondiale, plusieurs ingrédients manquent encore à l’appel pour faire de ce concept un plat réussi. Car force est d’admettre, qu’en matière de souveraineté alimentaire, l’assiette de la majorité des pays est encore vide. Et le ventre creux des 795 millions de personnes qui ont souffert de sous-alimentation chronique entre 2014 et 2016 crie toujours famine.

Lancé sur la place publique en 1996 par le collectif citoyen Via Campesina, le concept de souveraineté alimentaire est, somme toute, bien simple. Résumée à sa plus courte expression, la souveraineté alimentaire appelle les pays à développer des mécanismes de production adaptés à leur réalité afin de subvenir aux besoins alimentaires de leur population. À cette ligne générale, se greffent la valorisation de la culture locale, l’harmonisation de l’agriculture et de la nature, ainsi que la reconnaissance du caractère sacré des aliments. Exit, donc, l’industrie agroalimentaire à grande échelle et ses conséquences désastreuses sur le plan environnemental, sanitaire et social. Exit le périple de 2700 kilomètres qu’entreprennent en moyenne les aliments avant d’aboutir dans notre garde-manger. Exit l’accaparement des terres qui enlève le blé aux uns pour fournir du pain aux autres.

Très peu de pays peuvent se targuer d’être souverains, du moins alimentairement parlant. Aucun, en fait, car aucune épicerie étatique n’évolue en complète autarcie. À l’ère de la mondialisation des marchés, les pays vivent davantage en situation d’interdépendance qu’en état de souveraineté. Sommes-nous souverains dans notre assiette? Rien n’est moins sûr. Pour prétendre à cette liberté digestive, il y a encore du pain sur la planche!

Terres à vendre

Par exemple, le continent africain, dont 30% de la population ne mange pas à satiété, dépend des autres pour se nourrir, et ce même si le nombre d’hectares de terres arables dont il dispose suffirait amplement à remplir la panse de ses populations. Un hic parmi d’autres pour les Africains : le géant chinois. Hébergeant près de 20% de la population mondiale, mais disposant d’à peine 8% des terres agricoles, la Chine se tourne de plus en plus vers l’Afrique lorsque vient le temps d’agrandir son jardin. Et cela au grand dam des Africains qui voient partir les céréales de leurs récoltes vers l’Asie. Sur la ligne de départ de cette course à l’accaparement des terres, la Chine, certes, mais elle n’est pas la plus gourmande. Plutôt les Émirats arabes unis et l’Inde, alors que les Occidentaux s’intéressent à l’or vert du continent noir pour pallier à leur demande croissante d’hydrocarbures à base végétale.

Seulement depuis l’an 2000, on estime que 5% des terres agricoles africaines sont passées dans des portefeuilles étrangers, plus de 55 millions d’hectares depuis 2010. Idem en Amérique latine. En Uruguay, ce sont près de 30% des terres agricoles qui appartiennent désormais à des intérêts extraterritoriaux, voire à des multinationales qui se soucient bien peu de la dent creuse des populations locales. Le Québec n’est pas en reste. Selon l’Union des producteurs agricoles, des dizaines de milliers d’hectares de terres grasses sont désormais la propriété de sociétés d’investissement qui se préoccupent davantage de leur souveraineté financière que de la souveraineté alimentaire des Québécois.

Changements climatiques

Les soubresauts climatiques du thermomètre menacent également la souveraineté alimentaire de certains pays. Par exemple, le tiers de la population du Lesotho, petit pays d’Afrique australe de moins de deux millions d’habitants, risque aujourd’hui la famine faute d’eau pour arroser ses récoltes de maïs, à la base de son alimentation. Et pourtant, ce n’est pas l’eau qui manque au Lesotho. Les barrages hydroélectriques débordent, cela dit pour fournir à l’Afrique du Sud voisine le précieux liquide nécessaire pour lui éviter…la sécheresse!

La recette gagnante

Pour être souverain dans son assiette, le Canada devra changer drastiquement son menu quotidien. Car si les Canadiens produisent du blé à pouvoir en revendre, il ne cultive aucune des clémentines dont ils raffolent. En fait, en matière de souveraineté alimentaire, le Canada dépend des autres pays pour une bonne part de sa facture d’épicerie. Notons, entre autres : le café, les oignons, la bière, certains poissons, les noix, les tomates, les pommes, le raisin, le vin, le lait, le sucre, le maïs, etc. Autant de produits que nous consommons davantage que nous produisons.

« Un jour, les pauvres n’auront plus rien d’autre à manger que les riches », affirme une voix de la rue. Pour éviter d’en arriver à cette morbide charcuterie, voire alimenter de nouvelles révoltes de la faim à l’instar de celles découlant de la sécheresse de 2008, il importe de revoir nos modes de culture industrielle, nos habitudes alimentaires, et de mettre un holà à l’agrobusiness. Surtout, il faut impérativement réduire le gaspillage alimentaire, alors que le tiers de nos jardins se retrouve directement dans les poubelles. Qu’on se le dise : les stocks alimentaires planétaires actuels suffiraient à peine, en cas de changements climatiques extrêmes, à nourrir les terriens pour seulement…deux mois !