Les E-déchets sonnent le glas

par jean-marc lord, collaboration spéciale

Le plus grand dépotoir électronique du monde

Il s’en fallut de peu pour que la Ville de Trois-Rivières, en mai dernier, ne sache plus quoi faire de ses ordures, le site d’enfouissement de Saint-Étienne-des-Grès ne pouvant plus recevoir de sacs verts supplémentaires. Cette « crise des déchets » régionale rappelle, à petite échelle, une problématique d’envergure internationale: le trafic des déchets électroniques entre les pays, particulièrement entre les consommateurs du nord et les poubelles du sud. Petite histoire d’un téléphone cellulaire nord-américain qui sonne le glas de la santé publique dans un dépotoir à ciel ouvert du Ghana.

bienvenue au marché d'agbogbloshie

Selon le plus récent rapport (2015) du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), publié à l’occasion de la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers des déchets dangereux, l’Afrique serait devenue le lieu d’enfouissement privilégié pour les déchets électroniques (E-déchets) de l’Europe et des États-Unis. En haut de la liste des dépotoirs improvisés : la Côte d’Ivoire, le Nigéria, la République démocratique du Congo, mais surtout le Ghana. « Arrivés à destination [les déchets] sont tout simplement jetés à la mer ou dans les ports », notent les auteurs du rapport.

Cafetières, ordinateurs, téléphones cellulaires, télévisions, tablettes numériques, appareils MP3 et autres produits électroniques, autant de technologies qui facilitent notre quotidien mais qui, en fin de vie, contaminent l’environnement. Toujours selon le PNUE, entre 20 et 50 millions de tonnes d’appareils électroniques sont produites chaque année – 140 000 tonnes seulement au Canada. Un chiffre qui pourrait grimper à 65,4 millions de tonnes dès 2017, soit la masse estimée de 200 Empire States Building. Le hic : de plus en plus de ces déchets échouent dans les dépotoirs improvisés de l’Afrique, engendrant de graves problèmes environnementaux et de santé publique.

Retour au Ghana. Au marché d’Agbogbloshie, situé en banlieue de la capitale, Accra, s’élève l’une des plus grandes décharges de résidus électroniques de la planète. Sur près de 10 kilomètres carrés s’entassent les joujoux électroniques obsolescents, à 85% en provenance de l’Union européenne et des États-Unis. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, d’épaisses colonnes de fumée noire s’élèvent du dépotoir, autant de cheminées toxiques allumées par les « travailleurs» locaux qui récupèrent, au détriment de leur santé, le cuivre, l’argent, l’or et l’aluminium, en brûlant les composantes plastiques qui les recouvrent. Cette fumée hautement cancérigène, chargée d’arsenic, de plomb, de cadmium et de mercure, pollue l’atmosphère de dizaines de milliers de personnes qui résident à proximité du site. Sans compter que la pollution des sols et des eaux environnantes est telle qu’Agbogbloshie est classé comme l’un des dix endroits les plus contaminés du monde.

un moteur économique

De l’autre côté de la médaille, le recyclage des composantes électroniques s’érige en véritable moteur économique en Afrique de l’Ouest. Si les « travailleurs » d’Agbogbloshie, dont certains n’ont pas dix ans, gagnent moins de deux dollars par jour, la revente des matériaux extirpés des E-déchets nourrit un marché évalué à 250 millions $ par année. Seulement en Afrique de l’Ouest, plus de 30 000 personnes s’activent sur ces montagnes d’écrans cathodiques. Chaque année, près de 215 000 tonnes de produits électroniques terminent leurs jours à Agbogbloshie, surnommé «Sodome et Gomorrhe » par les Ghanéens.

Après la Chine et l’Inde, longtemps pointées du doigt par des ONG, Greenpeace en tête, comme les plus vastes décharges électroniques planétaires, force est d’admettre que l’Afrique de l’Ouest en général, le Ghana en particulier, représentent de nouvelles terres d’accueil où vont résonner, pour une dernière fois, les téléphones cellulaires occidentaux. L’organisation environnementaliste appelle donc les gouvernements à resserrer les lois en matière d’exportation de produits dangereux, et les compagnies qui fabriquent ce matériel à ne plus utiliser de matières premières, comme l’or et l’argent, qui attisent les convoitises au détriment de l’environnement et de la santé publique.