Dans les geôles de Boko Haram

Par Jean-Marc Lord, collaboration spéciale

Combattre le mal par le mal

Le groupuscule Boko Haram attire très peu les sympathies. Et pour cause, les « soldats » du nigérien Abubakar Shekau sont pointés du doigt comme les terroristes les plus violents de la planète. Assassinats, massacres de masse, attentats, pillages, vols, viols et kidnappings sont autant de crimes contre l’humanité qui noircissent la feuille de route du groupe africain. Pourtant, un cri lancé le 11 mai dernier par Amnistie internationale appelle de ses vœux de meilleures conditions d’emprisonnement pour les membres effectifs ou présumés de la secte. Bienvenue dans la geôle de Giwa, au Nigeria, ou l’on combat le mal par le mal.

«Bienvenue là où vous allez mourir »

Depuis 2009, le gouvernement nigérian traque les extrémistes de Boko Haram, proches des thèses djihadistes de l’État islamique. En fait, les forces de l’ordre ratissent si large leurs coups de filet que des milliers d’innocents se retrouvent coincés dans leurs mailles, puis jetés en prison manu militari. Hommes, femmes, enfants, les autorités font très peu de distinctions entre les véritables terroristes et les quidams dénoncés par des informateurs rémunérés. Depuis 2011, 20 000 personnes ont été arrêtées arbitrairement, dont 7000 ont succombé aux conditions inhumaines de détention dans des prisons militaires. En 2016, 149 personnes sont décédées dans les cellules surpeuplées de la prison de Giwa, à Maiduguri dans le nord du Nigeria, parmi lesquelles 12 enfants âgés entre 5 mois et 5 ans. En 2013 seulement, 4700 personnes sont mortes durant leur internement à Giwa.

Chaleur suffocante, espace surpeuplé (les détenus ne pouvant s’assoir qu’à tour de rôle), manque d’eau et de nourriture, absence de soins sanitaires et médicaux, choléra, fumigation des cellules (pour masquer les odeurs), exécutions sommaires et torture rythment le quotidien des prisonniers de Giwa. « Une fois que vous avez été arrêtés par les soldats et emmenés à [la caserne de] Giwa, votre vie est terminée », a déclaré à Amnistie internationale un rare réchappé, en ajoutant que lorsque des prisonniers arrivent à Giwa, les geôliers les accueillent en leur disant : «Bienvenue là où vous allez mourir ».

un rapport accablant

Dans un volumineux rapport publié en juin 2015 et intitulé Des galons aux épaules, du sang sur les mains, Amnistie internationale demande au gouvernement nigérian de cesser cette culture de l’impunité qui autorise les forces armées à commettre de graves crimes contre l’humanité. Après avoir colligé 412 entretiens avec des témoins directs et des hauts gradés, après avoir consulté plus de 800 documents militaires internes et plus de 90 enregistrements vidéos, fière de 6 enquêtes menées sur le terrain entre 2013 et 2015, l’ONG est catégorique : « Des milliers de jeunes hommes et d’adolescents ont été arrêtés arbitrairement et délibérément tués ou condamnés à mourir en détention dans des conditions abominables », note Salil Shetty, secrétaire général d’Amnistie internationale. « Au vu de ce document, il paraît indispensable d’enquêter sur l’éventuelle responsabilité pénale de certains membres de l’institution militaire, y compris au plus haut niveau de la hiérarchie. »

Le Nigeria est un « partenaire africain important » du Canada, selon les mots du haut-commissaire canadien basé à Abuja, Perry John Calderwood. Avec des importations nigérianes évaluées à plus de 567 millions $ (2014), le gouvernement canadien serait certainement en position de demander, sinon d’exiger de la plus grande économie d’Afrique un meilleur respect des droits de l’homme sur son territoire.

article publié dans le nouvelliste du 2-3 juillet 2016.