ÉLECTIONS EN HAÏTI: LE DÉFI DE LA LÉGITIMITÉ

PAR OLIVIER GAMELIN, COLLABORATION SPÉCIALE

ARTICLE PUBLIÉ DANS LE NOUVELLISTE, ÉDITION DU 19 NOVEMBRE 2016

Élections du 20 novembre 2016

Élections en Haïti : rebelote. Le 20 novembre prochain, les Haïtiens seront appelés aux urnes pour choisir, entre autres, leur président. Certains diront, à l’instar du chroniqueur Goïkoya Kolié, leur « superviseur des intérêts étrangers ». Après des élections avortées en octobre 2015, la date du 20 novembre pourrait être la bonne. Portrait d’une république vieille de deux siècles, mais où la démocratie peine toujours à s’épanouir.

D’emblée, notons que les élections en Haïti relèvent d’un système électoral hyper-complexe et comportent deux tours de scrutin. Le premier aura lieu le 20 novembre et le second le 29 janvier 2017. Outre l’élection présidentielle, le scrutin visera à remplacer le tiers du sénat, couvrira des législatives partielles ainsi que des municipales.

Les postes à pourvoir attirent un grand nombre de candidats : 27 à la présidence et 149 au sénat (10 postes). La chambre des députés compte 99 sièges : 1517 candidats cherchent à s’y asseoir. Quant aux municipales, chaque commune suscite un vif intérêt. La mairie de Port-au-Prince, par exemple, a produit 63 candidatures, avec autant de possibilités de contestations des résultats. Le calendrier électoral prévoit d’ailleurs une procédure d’appel des contestations. Les résultats officiels du premier tour de la présidentielle seront connus le 29 décembre et ceux du deuxième tour le 20 février 2007. Donc, pas de président avant trois mois…minimum.

Il va sans dire qu’un système aussi complexe exige une logistique coûteuse qui rend l’aide internationale quasi indispensable. Ajoutons à cela les défis et les délais causés par l’ouragan Matthew et vous avez là le portrait d’une entreprise démocratique qui relève de l’exploit.

Une élection internationale ?

Lors des élections avortées de 2015, la communauté internationale avait injecté en vain 100 millions $ pour la tenue du scrutin. À lui seul, le Canada avait investi 20 millions $. Un montant aussitôt critiqué puisqu’à peine 25% des six millions d’électeurs s’était présenté dans l’isoloir. En juillet 2016, les États-Unis annonçaient qu’ils suspendaient leur aide financière pour supporter de nouvelles élections.

À pareille date, le Premier ministre haïtien affirmait que les élections de novembre, évaluée à près de 70 millions $, seraient entièrement financées par l’État haïtien (Ndlr : une élection générale au Québec coûte 88 millions $). Pour l’actuel président, Jocelerme Privert, « les élections sont un acte de souveraineté nationale ». Il importait donc, à ses yeux, que l’État haïtien en assume les frais. Après le passage de Matthew, le 4 octobre, Washington revenait sur sa décision, notamment pour restaurer les 240 centres de vote touchés par l’ouragan.

Forces en présence

Sur la ligne de départ des présidentielles, deux principaux candidats se font la course. D’abord, Jovenel Moïse qui, à l’élection d’octobre dernier, était arrivé premier avec 32 % des votes. Entrepreneur de formation, il mise sur l’agriculture bioécologique comme moteur de la relance économique d’Haïti.

Deuxième personnalité en lice : Jude Célestin. Ce candidat aux élections de 2010 et de 2015 souhaite candidement améliorer les conditions de vie des plus vulnérables. Rappelons qu’Haïti est toujours considéré comme le pays le plus pauvre des Amériques, avec 78% de sa population vivant sous le seuil de la pauvreté. Sans compter les 56% de citoyens qui, selon l’UNICEF, doivent composer avec une pauvreté extrême.

Depuis des décennies et malgré les milliards $, la communauté internationale ne parvient pas à maintenir Haïti hors de l’eau. Un constat qui témoigne de la place grandissante des « stratèges internationaux du chaos haïtien », pour reprendre les termes d’AlterPresse, et dont les intérêts économiques et sociopolitiques sont ancrés dans un modèle d’affaire basé sur l’instabilité. Les défis électoraux sont nombreux : légitimer les institutions, retrouver une certaine souveraineté et contrôler les pans économiques de l’avenir national. En somme, pour faire écho aux mots de l’écrivain haïtien Jacques Roumain, « défricher la misère et planter la vie nouvelle ».