TURQUIE : LE RETOUR DU SULTAN?

par alice grinand. collaboration spéciale.

Dimanche dernier, la population turque s’est rendue aux urnes pour un projet de réforme constitutionnelle. Une très courte victoire du oui, teintée de soupçons d’irrégularités, semble satisfaire le président turc Recep Tayyip Erdogan, initiateur de ce vote, qui continue son chemin vers un régime autocratique.

Ce sont 55 millions d’électeurs turcs qui étaient appelés à donner leur avis, dans le cadre d’un référendum, sur une réforme constitutionnelle qui vise à modifier le régime parlementaire actuel en régime présidentiel fort. Modelé par et pour Erdogan, les 18 articles qui composent cette modification de la Constitution ont été rédigés sans consultation avec l’opposition ou avec des organisations de la société civile locales.

Les enjeux sont pourtant de taille. L’acceptation de cette réforme signe la fin de la séparation des pouvoirs, l’un des principes fondamentaux qui constituent une démocratie. Le président sera par exemple amené à nommer 12 des 15 juges de la Cour constitutionnelle, qui est habilitée, entre autres, à statuer sur la destitution du président. Le pouvoir exécutif, qu’incarne le président, trouverait en outre ses pouvoirs renforcés, notamment par l’abolition du rôle de premier ministre. Le Parlement sera quant à lui réduit à peau de chagrin.

Erdogan a taillé cette Constitution sur mesure pour ses ambitions. Cette dérive autoritaire a été amorcée il y a quelques années déjà. Dès juin 2013, les mouvements de protestation pacifique ont été réprimés dans la violence. Le pays, qui avait été une source d’inspiration lors des printemps arabes de 2011, par son modèle alliant démocratie et islam, avait perdu de sa superbe. Depuis 2007, la liberté de la presse périclite, et la chasse aux médias a atteint son paroxysme depuis la tentative de coup d’État en juillet dernier. Il n’y a pas que les journalistes à souffrir de ce durcissement de régime. Par exemple, le bilan du putsch raté est lourd: plus de 265 morts, 40 000 arrestations, 150 000 fonctionnaires limogés et plus de 150 journalistes détenus.

Un malaise certain se fait néanmoins sentir autour des résultats. 51%, c’est une très courte majorité pour un enjeu aussi crucial qu’une modification de la Constitution. De plus, l’opposition, qui représente des intérêts hétérogènes tels que les tenants à la laïcité, des nationalistes ou encore des Kurdes, crie à la fraude et aux irrégularités, de concert avec des observateurs internationaux, notamment de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Conseil de l’Europe (gardien des droits de l’homme sur le vieux continent). Les premiers recours pour demander l’annulation du scrutin ont néanmoins été déboutés, et le président criait victoire dès le lendemain du vote.

Tout au long de la campagne du référendum, Erdogan a maintenu qu’il était prêt à rétablir la peine de mort si les résultats d’une consultation populaire allaient dans ce sens. Il a également avancé l’idée d’un autre référendum concernant l’adhésion de son pays à l’Union européenne, tandis que les négociations sont au point mort depuis plusieurs années, et que le durcissement du régime ne plaidera pas en faveur d’une reprise.

Erdogan justifie son durcissement « en argumentant que nous sommes dans une société qui va de plus en plus vite et qu’il est nécessaire de pouvoir prendre des décisions rapidement. » La réforme ne sera effective qu’à partir de 2019, après les prochaines élections présidentielles et législatives du pays. Qui sait quel sera le visage de la Turquie à ce moment-là, alors que le pays semble plus divisé que jamais et menacé par l’instabilité mortifère de la région ? Une chose est sûre, la période est charnière pour l’avenir de la Turquie et pour cette région du monde.