LA MORT KILOMÉTRIQUE

par alice grinand. collaboration spéciale.


La Catalogne, en Espagne, a été attaquée les 17 et 18 août dernier, faisant 14 morts. Quelques jours auparavant, le 13 août, le Burkina Faso connaissait également un acte sanglant qui a laissé 18 personnes sans vie. Pourtant, force est de constater que les deux événements, comparables, n’ont pas bénéficié de la même couverture médiatique. Conséquence de la mort kilométrique ?

Lorsque l’on consulte le top 5 des actualités de la semaine du 14 au 20 août publié par Influence Communication, une agence d’analyse média, on constate que les attentats en Espagne occupent la troisième place des contenus médiatiques québécois, tandis que ceux du Burkina Faso n’entrent pas dans ce classement. Pourtant, deux Canadiens y ont péri. Mais surtout, cet événement a, autant qu’en Espagne, laissé tout un pays meurtri.

Il existe en journalisme une loi, c’est la loi de proximité. D’après celle-ci, l’importance de l’information dépend de sa proximité, qu’elle soit géographique, culturelle ou affective, avec le lecteur. Un.e Trifluvien.ne se sentira naturellement plus concerné.e par une nouvelle qui touche Trois-Rivières plutôt que Baie-Comeau, par exemple. Cette loi de proximité se décline également sous le concept de mort kilométrique. Pour faire simple, plus je me sens proche, physiquement, affectivement ou culturellement d’une personne, plus sa mort va m’atteindre. Et inversement. Pourtant, peu importe le continent, aucun peuple n’aime compter ses morts; une mère, qu’elle soit à l’autre bout du monde ou que ce soit une voisine, pleure la perte de son enfant.

Les journaux et le système médiatique aurait aussi pu dénoncer les deux attaques qui, le 14 août au Mali, ont ôté la vie à neuf personnes. Et probablement d’autres attentats ignorés. Ou encore souligner les 170 civil.e.s tué.e.s par des frappes aériennes par la coalition en Syrie, dont les forces armées canadiennes, à travers l'opération IMPACT, font partie. Ou bien décrier les plus de 750 personnes dont la vie a été emportée par les moussons saisonnières en Inde, au Népal ou au Bangladesh.

Le Québec, toujours selon les chiffres d’Influence Communication, semble particulièrement recroquevillé sur lui-même en ce qui concerne les informations: les actualités internationales occupaient seulement 4,09% du contenu médiatique en 2016 (8,17% à l’échelle du Canada et 11,18% à l’échelle mondiale).

Les actualités internationales de 2016 ont notamment été rythmées par l’élection de Donald Trump aux États-Unis, le Brexit ou encore la crise des réfugiés en Europe. Faudrait-il, en outre, voir dans cet intérêt pour les actualités internationales, si minime soit-il, un repli des sociétés occidentales sur elles-mêmes?

Car dans le triste classement du nombre de morts, il faut rappeler que personne n’y gagne, sur aucun continent. Cette loi de proximité, ou mort kilométrique (qu’elle soit géographique ou culturelle) semble être notamment corrélée à notre capacité d’indignation. Ainsi, profitant peut-être de cette indifférence face aux enjeux internationaux, le gouvernement a voté une augmentation colossale du budget de la Défense, passant de 19 milliards de dollars à 32,7 milliards d’ici 10 ans (soit une augmentation de plus de 70%).