un texte d'eduardo malpica
Le dimanche 4 septembre, au Chili, le nouveau texte constitutionnel, soumis à l’approbation populaire, a été rejeté par une forte majorité (près de 62 % des voix contre 38%), avec un taux de participation historique de 85%. Rappelons qu’issue des mobilisations citoyennes de 2019, l'assemblée constituante avait été appuyée à 78%, en octobre 2020, par la population dans un premier référendum invitant à changer la Constitution héritée de la dictature pinochetiste. Ainsi, en juillet dernier, un texte constitutionnel a pu être présenté au gouvernement.
Cette nouvelle Constitution de 388 articles contenait des propositions audacieuses, concernant notamment la «démocratie paritaire», soit la mise en place des conditions favorables à l’égalité du genre, et ce, sur tous les postes de représentation populaire. Elle répondait également aux demandes historiques des peuples autochtones en passant d’une conception unitaire à un État plutôt plurinational. L’engagement de l’État dans la lutte contre les changements climatiques et envers la préservation de la nature (eau, milieux humides, glaciers) y était également présent. Tout un chantier politique qui, s’il a finalement pu se mettre en branle, a aussi rencontré une vive résistance par les milieux les plus conservateurs. Ceux-ci ont effectivement déployé une importante campagne de désinformation. Est-ce la seule raison qui expliquerait pourquoi la majorité des Chilien.ne.s ont rejeté la nouvelle Constitution ?
Pas tout à fait. D’abord, on ne peut pas faire abstraction du nouveau gouvernement progressiste dirigé par le président Gabriel Boric, élu en mars dernier, qui a fait campagne pour l’approbation du texte constitutionnel. La polarisation de la campagne électorale et les résistances qu’il y a rencontrées se sont poursuivies dans le temps pour que le référendum du 4 septembre en devienne un sur la popularité de son administration. Ensuite, il y a la nature des nouvelles propositions constitutionnelles, notamment celle reliée au caractère plurinational de l’État et à l’instauration d'un système de justice autochtone. En effet, ce genre de revendication autochtone a eu comme effet une levée de boucliers de la part de milieux conservateurs revendiquant des identités traditionnelles de la chilenidad. Ainsi, la patrie unitaire et homogène a eu raison de la plurinationalité. Dans le même ordre d’idées, il y a eu des résistances face à la suppression du sénat, institution réalisant des tâches de contre-pouvoir qui est considérée importante aux yeux des Chiliens et, également, à la mise en place du droit d’interruption volontaire de la grossesse, dans une société conservatrice et toujours très catholique.
Enfin, il faut rappeler que la force de l’assemblée constituante résidait d’abord sur une volonté anti-establishment et contre la politique partisane traditionnelle. Or les débats houleux et les discussions polarisantes et interminables ont terni cette image et l'ont rapidement rapprochée de l’inefficacité attribuée aux politiciens traditionnels. De plus, selon certains analystes, l'assemblée constituante n’a pas su communiquer la teneur des discussions ni la portée des changements qu’elle proposait. Cela aurait été d’autant plus nécessaire, car le nouveau texte constitutionnel comptait sur 388 articles, une constitution parmi les plus longues du monde.
Quelle est la suite de ce processus constituant, pour l’instant, bloqué ? Sur le plan de la forme, il faut attendre quatre mois depuis le jour du deuxième référendum, soit celui du 4 septembre, pour tabler sur les conditions d’un nouveau plébiscite. C’est donc en janvier 2023 que nous en saurons davantage. Le lendemain de la défaite, le président Boric parlait déjà “d’itinéraire constituant” en faisant allusion à la nécessité des accords au bénéfice de tous les Chilien.ne.s. Sur le plan politique, il reste à concevoir la forme qu'adoptera ce troisième référendum et cela dépendra de la nature de nouveaux accords que l’on recherche. En effet, si on mettait l’emphase sur la présence d’un centre modéré et le dialogue fluide entre formations partisanes de gauche et de droite, les candidatures dites indépendantes pourraient prendre le bord. En même temps, le sentiment anti-partis traditionnels est toujours en vigueur. Les gens exigent donc cette indépendance de la part des asambleistas, les élu.e.s qui sont chargées de rédiger le nouveau texte constitutionnel.
Aussi, les discussions houleuses sont appelées à devenir plus harmonieuses et pour ce faire, il y a un débat sur le choix de candidatures indépendantes, issues de la société civile et des mouvements sociaux, ou sur celles de personnes dites “expertes” dans le but de donner une direction à ce processus. Dans le deuxième scénario, les expert.e.s seraient appelés à créer une instance de discussion plus délibérative et encline aux accords entre les parties.
Somme toute, ce processus, issu de mobilisations sociales, se doit d’être poursuivi, car les leçons de démocratie tirées sont trop importantes. La tâche n’est certainement pas mince et la responsabilité de porter ce projet est également énorme. Face à un exercice démocratique aussi long et périlleux, la patience est de mise avant de voir les fruits, soit des changements sociaux majeurs par et pour les mouvements populaires socialement et politiquement organisés au bénéfice de tous les Chilien.ne.s.