Après une victoire historique sur José Antonio Kast, représentant de l’extrême droite et admirateur du dictateur Augusto Pinochet, le président de gauche Gabriel Boric, 36 ans, prendra ses fonctions le 11 mars. Fort de 56% de voix obtenues lors du deuxième tour des élections en décembre dernier, M. Boric a devant lui d'immenses défis à relever dans un contexte de fragilisation de l’économie due à la pandémie de COVID-19 et de processus politique ardu avec les travaux de l’Assemblée constituante mis en branle en mai 2021. Quels sont les enjeux constitutionnels qui, de manière parallèle à la formation de ce gouvernement, devront être discutés au sein de la société ?
D’abord, il est pertinent de souligner que c’est le mouvement massif de contestation de 2019, fortement réprimé, qui a conduit à un large consensus politique en faveur d’un changement de l’actuelle Constitution, héritage de la dictature pinochetiste. Les Chiliens en avaient en effet ras-le-bol des inégalités sociales et ne faisaient plus confiance à leurs institutions politiques. Suite à ces mouvements de contestation, la population a voté à 80% en faveur d’un changement de Constitution lors d’un référendum en octobre 2020. De cet événement politique est née la coalition Apruebo Dignidad (J’approuve la dignité), portée au pouvoir avec M. Boric.
Une Assemblée constituante se veut un outil de dialogue sur les changements structurants d’une société et sur de la démocratie impliquant tous les acteurs sociaux et politiques revendiquant des intérêts communs. En mai 2021, les 155 membres de cette assemblée ont été élus. Elle est paritaire entre hommes et femmes et les Autochtones y ont dix-sept sièges garantis, une première pour le Chili, pays qui s’est caractérisé par son conservatisme. On y discute d’une panoplie de sujets qui vont du système politique aux droits sociaux en passant par les questions environnementales, féministes, autochtones et de justice.
Le gouvernement Boric pourrait être tenté de vouloir récupérer ce processus constituant, pourtant, celui-ci doit rester indépendant et autonome de la joute partisane. Toutefois, M. Boric se doit de l’appuyer sans trop intervenir pour se démarquer ainsi de la droite qui l’a pourfendu dès le début des travaux. Cette articulation politique nécessite une grande capacité de réflexion et de négociation. Le nouveau modèle de développement censé émerger du futur texte constitutionnel en dépend.
À la suite du départ du dictateur, en 1989, le Chili a entamé une transition politique dans la continuité de l'héritage pinochetiste, ce qui a conduit à la mise en place d’un aggiornamento privatisant l’État et la société. C’est alors instaurée une démocratie démunie de tout sens de justice en matière de droits humains et de justice sociale. D’où l’appel, dès la fin des années 1990, à une mobilisation en vue d’investir la démocratie d’une autre manière, celle pour un Chili plus juste.Les moult mobilisations de deux dernières décennies ont chacune revendiqué, à leur façon, cette aspiration démocratique. Le défi est donc grand pour cette assemblée constituante qui a encore beaucoup de chemin à parcourir. Il l’est tout autant pour le gouvernement Boric qui se doit, par le fait même, d’incarner le gouvernement de transition permettant de poser les bases de ce nouveau Chili, tout en réparant les inégalités qui se sont creusées à cause de la crise sociosanitaire.
L’Assemblée constituante a d’ailleurs récemment approuvé les premiers articles de la nouvelle constitution. Soulignons celui qui a trait à la forme de l’État chilien. Ainsi, il passerait d’une conception unitaire à un « État régional, plurinational et interculturel. » Le but est de décentraliser le pays et de donner plus de pouvoir aux régions et aux peuples autochtones. Tout un chantier politique et sociétal en vue, qui soulèvera plusieurs enjeux d’ici juillet prochain, moment dans lequel le nouveau texte constitutionnel sera prêt et soumis à approbation populaire au moyen d’un référendum en septembre, où le vote sera obligatoire. Parions que les leçons tirées de cet exercice politique seront fort pertinentes pour ceux et celles qui tiennent à repenser la démocratie dans le monde.