CARNET DE VOYAGE - NICARAGUA

PAR MARIE-HÉLÈNE JANVIER

Marie-Hélène Janvier a réalisé un stage de solidarité internationale dans le cadre du programme Québec sans frontières, du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du gouvernement du Québec. La jeune femme, qui nous livre ici son témoignage, a séjourné au Nicaragua afin de participer à un projet d’écotourisme communautaire.

« Ce monde que j’ai pourtant quitté il y a quelques heures à peine, me semble si loin »

« Mesdames et messieurs, nous entamons notre descente vers l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau. Nous serons à Montréal dans une dizaine de minutes. La température est de… ».

Excitée de retrouver ma famille, mon copain, mes amis et mon Québec, je souris. Je suis de retour à la maison. Dès mes premiers pas à l’extérieur, une brise fraîche parcourt mon visage, les boulevards me surprennent par leur largeur, la lumière omniprésente des bâtiments et des panneaux publicitaires m’hypnotise et mon attention est portée sur les voix des animateurs de radio qui critiquent l’état des routes. Alors que la voiture file vers la ville de Québec, je suis submergée par des sentiments contradictoires, la joie, le doute, l’excitation, la tristesse, le bonheur.


Mon esprit s’égare dans mes souvenirs, je revois ma famille nicaraguayenne qui pleurait mon départ, le perroquet qui me réveillait tous les matins, le paysage magnifique qui m’attendait dès que je mettais le nez dehors. Puis, je pense à ma mère adoptive qui faisait son fromage entourée par les mouches dans une chaleur accablante, à mon père adoptif qui s’occupait de ses vaches et qui pêchait tous les jours, et de nouveau à ma mère qui devait porter ses grosses poches de vêtements pour aller faire son lavage dans le lac et à mon père qui attendait impatiemment la pluie pour ne pas perdre ses récoltes. Ce monde que j’ai pourtant quitté il y a quelques heures à peine, me semble si loin.

Arrivée à la maison, je reviens sur terre, à Québec, au Canada, chez moi. Mon esprit est ailleurs, mais mon corps est ici. Je suis surprise par les émotions qui m’envahissent, je croyais que mon retour serait facile, comme les autres. Or, cette fois-ci, c’est différent. Mes émotions atteignent leur paroxysme alors que j’entre dans l’appartement de mes parents et que je vois leur cuisine, leur salon, leur salle de bain. Des images de ma maison nicaraguayenne me viennent en tête et soudainement, je pleure. Les membres de ma famille me prennent dans leurs bras ne sachant pas ce qui se passe. Moi je sais, je suis en choc de retour.

Ma vision du monde et le regard que je lui prête ont évolué suite à mon expérience à la Ciudadela et au village de Los Ramos sur l’île d’Ometepe au Nicaragua. Plusieurs moments m’ont profondément marqué et le fait de réaliser que mon entourage ne pouvait pas réellement les comprendre m’a déstabilisée. Deux mois et demi venaient de passer où j’avais vécu dans une famille d’une autre culture et un environnement socio-économique bien différent. Une courte période de ma vie où j’avais échangé avec elle sur la vie, l’amour, l’argent, le travail, les relations femmes-hommes et les opportunités d’avenir. Peu à peu, au fil de mon stage dans lequel j’avais le mandat avec le groupe de renforcer le projet d’écotourisme de la coopérative de tourisme rural qui désirait accueillir plus de touristes, j’ai compris la réelle signification de la survie. L’argent que donnaient les touristes leur permettait de s’acheter des biens essentiels, non pas le téléphone cellulaire de l’année, une télévision plus grosse ou une nouvelle console de jeux, mais un matelas, un réfrigérateur, des pommes ou des carottes. Je suis revenue au Québec avec une vision différente de la consommation en matériels, en aliments, en eau potable.

J’entends encore ma mère du Nicaragua me raconter les deux années qu’elle a vécu sous des feuilles de bananes plantains pour se couvrir de la pluie ou mon père me dire que seul Dieu savait si sa famille survivrait jusqu’à l’an prochain. Maintenant, chaque fois que j’ouvre le robinet et que l’eau coule à flot 24 heures sur 24, que je démarre la machine à laver ou que j’entre dans un marché pour m’acheter de la nourriture, je pense à ma famille nicaraguayenne. Alors que mon esprit divague encore entre Ometepe et Québec, j’apprécie chaque petit bonheur de la vie et me sens incroyablement privilégiée d’avoir vécu auprès d’elle.