Par XAvier St-Pierre
Alors que la pandémie a révélé l’appauvrissement des services publics, que ce soit en santé mentale, en soins pour les personnes âgées ou en éducation, elle a aussi révélé le rôle des travailleuses de la santé de première ligne, particulièrement des femmes immigrantes. D’un autre côté, la situation actuelle est également le théâtre d’une recrudescence du racisme anti-asiatique. Les prises de parole sur les mesures sanitaires sont ainsi, depuis un an, accompagnées de propos xénophobes et racistes, notamment par l’entremise des discours complotistes.
L’antisémitisme des discours complotistes
Plusieurs chercheur·e·s et groupes actifs dans la lutte contre le racisme ont souligné les liens entre les mythes véhiculés par les récits de complot et les discours haineux antisémites. Dans un texte récent, George Santon, chercheur spécialisé sur les génocides, souligne comment la théorie du complot de QAnon – mythe entretenu par une partie importante des discours complotistes au Québec comme ailleurs – n’est qu’un changement d’image des récits antisémites. Le mythe du complot de QAnon peut se résumer à l’idée que les États seraient contrôlés par un groupe de personnes s’adonnant à la pédophilie et disciples de Satan. Ce groupe serait financé par des Juifs et composé de différentes figures médiatiques et de chefs de gouvernements.
Légende : Dès le printemps 2020, des manifestations contre les mesures sanitaires se sont déroulées dans plusieurs villes du Québec, dont Trois-Rivières. Lors de ces manifestations, symboles de l’extrême droite, du nationalisme, de suprématisme blanc et du complot QAnon se côtoient. Cette proximité entre les mouvements contre les mesures sanitaires et l’extrême droite n’est toutefois pas anecdotique.
Crédit image : Denis Hébert -Flickr.com
Santon rappelle les ressemblances entre ce mythe et un influent pamphlet antisémite publié en 1903 intitulé Les Protocoles des Sages de Sion. Celui-ci décrivait qu’un groupe de Juifs complotait pour prendre le contrôle du monde, que ces derniers kidnappaient des enfants pour les abattre et s’adonner au cannibalisme. Les ressemblances sont manifestes. Ce récit imaginaire a eu une place importante dans la propagande nazie, que ce soit dans les journaux ou dans le curriculum des écoles primaires allemandes. En ce sens, l’historien Paul Hanebrink montre comment le mythe du « complot international juif » a eu des échos dans plusieurs mouvements d’extrême droite depuis sa publication en 1903. Selon Santon, la reprise de la logique de paranoïa antisémite par QAnon en serait le plus récent exemple : « Le monde a vu QAnon avant. Ça s’appelait le Nazisme. Avec QAnon, le Nazisme veut faire un retour ».
Extrême droite et complotisme au Québec
L’extrême droite, dont plusieurs chercheur·e·s ont relevé la recrudescence au cours des dernières années au Québec de même qu’aux États-Unis et en Europe, a fortement investi les canaux de communication complotistes. En effet, là où certains échangeaient des discours haineux anti-immigration avant la pandémie, on peut maintenant voir aussi des remises en question de l’existence de la pandémie ou de l’efficacité des vaccins, et de prétendues révélations sur l’existence d’un complot. Le contexte a fait en sorte que l’auditoire de ces groupes a augmenté lors des derniers mois. Certaines vidéos réalisées par des Québécois·e·s favorables aux idées de QAnon accumulent des milliers de vues et de partages sur les réseaux sociaux. Cette augmentation, nocive sur le plan de la santé publique, soulève de nombreuses questions concernant le vivre-ensemble.
Discours haineux et vivre-ensemble
Cet état de situation n’est pas propre au Québec : l’adhésion des groupes d’extrême droite et néonazis au mythe de QAnon a également été observée dans d’autres pays, comme l’Allemagne et les États-Unis. La paranoïa dont sont porteurs ces discours contribue à alimenter un climat de xénophobie, notamment au Québec.
Ainsi, George Santon appelle à reconnaître ces mythes qui se nourrissent des idéologies racistes et xénophobes comme des signaux d’alarme de possibles violences génocidaires. Il ne suffit donc pas de disqualifier celles et ceux qui défendent ces idées, il faut aussi contextualiser les récits complotistes pour ce qu’ils sont : des discours haineux. En effet, dans un monde où les frontières se multiplient et se renforcent au-delà du contexte pandémique – comme le montre la prolifération des murs frontaliers depuis une vingtaine d’années ou les discours sur l’abaissement des seuils d’immigration au Québec – les discours haineux sont autant d’obstacles au vivre-ensemble. Dans ce contexte, il faut prévenir et combattre la prolifération des discours haineux.