Par Daniel Landry
Le 15 août dernier, les Talibans revenaient à Kaboul après en avoir été chassés il y a deux décennies par les forces militaires occidentales. Ces événements surviennent à peine quelques semaines après le retrait des forces militaires américaines (2 juillet), ce qui nous force à réfléchir et évaluer le bien-fondé de l’intervention militaire occidentale depuis vingt ans (2001-2021). Ce qui se voulait d’abord être une chasse à Al-Qaïda et Oussama Ben Laden au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 était rapidement devenu une mission pérenne de reconstruction d’un pays en proie à des décennies d’affrontements.
Les justifications publiques de cette mission étaient fort louables : libération d’un peuple, droits des femmes, démocratisation d’un pays. La construction d’écoles a d’ailleurs permis à plusieurs jeunes Afghanes d’améliorer temporairement leur sort. Cependant, a posteriori, il semble que la mission était totalement inadaptée à la réalité du terrain. À bien des égards, les militaires canadiens (et à plus forte raison les Américains) étaient perçus comme des envahisseurs et des occupants.
Légende: Le retour des Talibans à Kaboul force la remise en question de l’intervention militaire canadienne qui aura coûté plus de 20 milliards de dollars au trésor public et aura entraîné la mort de plus de 160 Canadien.nes.
Crédits : Caporal Keith Wazny, Forces armées canadiennes
En ce qui a trait à la portion canadienne de cette mission, il s’avère difficile de la percevoir autrement que comme un échec retentissant. Au-delà des dépenses de près de 20 milliards de dollars affectés à ce conflit, ce sont plus de 160 Canadien.nes qui ont perdu la vie en Afghanistan pendant la mission (2001-2014). Le rôle des Forces armées canadiennes a été particulièrement éprouvant, vu leurs responsabilités dans la région à haut risque de Kandahar. Encore aujourd’hui, des centaines de militaires et ex-militaires paient un lourd tribut à cette mission (pensons aux ancien.nes combattant.es victimes du syndrome de stress post-traumatique).
Avec la mise en place précipitée de l’Émirat islamique d’Afghanistan par cette version 2.0 des Talibans, on cherche maintenant à tirer des leçons et comprendre ce qui est arrivé. Aussi étrange que cela puisse paraître, les présidences Obama, Trump et Biden ont ceci en commun : elles souhaitent rompre avec l’idée de l’Amérique gendarme du monde. Le retrait de l’Afghanistan fait suite à celui d’Irak (2011) et de Syrie (2019) et vient créer une véritable rupture avec l’idée de l’Amérique toute-puissante qu’on se faisait dans les années ayant suivi la chute de l’Union soviétique (décennies 1990 et 2000)[1]. Devant le retour des Talibans, certains pourraient regretter cette attitude de retrait et dénoncer ce nouvel isolationnisme américain. Cependant, aussi puissants que puissent être les moyens militaires des États-Unis, rien n’indique qu’ils puissent transformer par la force ces pays où ils interviennent depuis des décennies. Rien n’indique que le hard power américain ait donné quelque résultat satisfaisant que ce soit concernant la démocratisation ou les droits des femmes. Rien n’indique d’ailleurs que les dirigeants américains aient jamais eu la réelle volonté de poursuivre ces idéaux. Leurs motivations profondes n’étaient-elles pas plutôt strictement géostratégiques, l’Afghanistan partageant des frontières communes avec l’Iran, le Pakistan et la Chine?
En somme, jusqu’à tout récemment, on pouvait se laisser convaincre par la rhétorique démocratique et croire que tous ces investissements en Afghanistan (en vies humaines et en argent) n’avaient pas été vains. Le retour des Talibans présente clairement l’impasse afghane et sonne le glas de cette naïveté. Il nous invite à repenser les relations internationales selon le paradigme de la coopération plutôt que celui du colonialisme et de ses formes dérivées. Le premier pas de cette coopération passera assurément par l’accueil de milliers de réfugié.es qui, dans les prochains mois, voudront fuir le ressac taliban.
[1] On se rappellera du président George Bush père (1989-1993) qui parlait du New World Order en référence au monde unipolaire postsoviétique.