Une petite histoire du sexisme ordinaire

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par clémence bideaux et alice grinand

Le sexisme ordinaire concerne les gestes, comportements, réflexions, attitudes misogynes présents au quotidien et tellement banalisés dans nos vies quotidiennes que nous remarquons même plus sa présence. À travers cette histoire fictive, mais pas tant que ça, les auteures ont cherché à lui redonner une certaine visibilité.


Comme beaucoup, elle n’est pas féministe. Il y a des enjeux plus importants et puis, la condition de la femme n’est plus si mal aujourd’hui. Il y a eu beaucoup de progrès. Elle pense donc qu’elle n’a pas besoin du féminisme. Elle ne pense qu’en aucun cas sa vie quotidienne nécessiterait un quelconque changement vis-à-vis de son genre. Les enjeux soulevés par les féministes, selon elle, ne la concernent pas. Elle a un travail, un bon salaire, une relation saine avec son conjoint, elle se sent libre, libre d’aller où elle veut, vêtue comme elle veut. Alors, pourquoi devrait-elle être féministe?

Voyons, pourtant, comment s'immisce le sexisme ordinaire dans son quotidien. (Par sexisme ordinaire, entendons gestes, comportements, réflexions, attitudes misogynes présents au quotidien et banalisés

Journée de semaine, il faut se préparer pour aller au travail. Elle se lève, déjeune, se prépare en vitesse, mais pas trop vite non plus, il faut être présentable pour avoir l’air sérieuse au travail. Assez maquillée pour ne pas paraître négligée, mais pas trop non plus pour ne pas avoir l’air vulgaire.

Les poubelles passent tout à l’heure, mince! la poubelle n’a pas été sortie. C’est de sa faute, elle n’avait qu’à y penser et demander la veille à son conjoint si elle voulait de l’aide. Tant pis, elle les sort, elle sera un peu en retard à son travail, mais il faut que ça se fasse.

Elle sort de chez elle à toute allure. Dans sa voiture, elle met la radio, aux nouvelles, une histoire de viol, elle se déplaçait seule, en pleine nuit en sortant de soirée et en plus elle avait bu. Ne l’avait-elle pas un peu cherché? s’interroge-t-elle C’est sûr que quelqu’un essaierait d’en profiter. En plus, elle portait une robe. Il faut savoir se protéger, se dit-elle. Quelques statistiques suivent la nouvelle : 1 femme sur 3 a été victime d’au moins une agression sexuelle depuis l’âge de 16 ans, 1 femme sur 7 est agressée sexuelle au moins une fois par son conjoint. A elle, ça ne lui arrivera pas, elle est forte, elle a une conduite exemplaire, elle ne côtoie que de bonnes personnes, ça ne peut pas lui arriver, croit-elle.

Elle arrive au travail un peu morose et stressée par sa matinée qui ne fait que commencer. Son collègue la salue et constatant qu’elle n’a pas l’air très bien, se permet : « Eh beh, tu es plus jolie quand tu souris. T’as tes règles ou quoi? » et conclut sur un « tu pourrais faire un effort, quand même! »

Le midi, elle va manger au restaurant avec son collègue. Sur son menu, les prix ne sont pas indiqués contrairement à celui de son collègue. Elle commande un burger, tandis que son collègue choisit une salade. Évidemment, le serveur n’y manquera pas, et se trompera en servant les assiettes. C’est à lui qu’on fera goûter le vin, aussi. Elle se dit que c’est mieux ainsi, puisqu’elle n’y connait rien, elle. Durant le repas, il fait quelques blagues un peu déplacées qui la mettent un peu mal à l’aise. Elle n’ose rien dire, c’est de l’humour et ne veut pas paraitre rabat-joie. Tous les autres au bureau le font aussi, et c’est toujours mieux que de travailler avec des femmes. Rien ne vaut un entourage masculin, pense-t-elle, les filles sont tellement superficielles et désagréables. Au final, elle a de la chance malgré leurs remarques.

Après son travail, en marchant pour se rendre à l’épicerie, elle pense àce qu’elle doit acheter. Il ne reste plus qu’un rouleau de papier toilette. Oh, mon chéri doit arriver à court de mousse à raser. Surtout, ne rien oublier. Soudain, un « mademoiselle, t’es trop belle. » accompagné d’un regard pervers la tire de ses pensées.



A l’épicerie, elle passe par le rayon de l’hygiène, elle doit acheter des serviettes hygiéniques. Dans le même rayon se trouvent les couches pour enfants, elle ne peut pas s’empêcher de penser à cette question qu’on lui pose si souvent : “Et les enfants, c’est pour quand?” Elle n’en désire pas, mais elle sait qu’elle passe pour une égoïste en disant ça, alors elle finit toujours par répondre qu’ils y pensent, avec son conjoint, d’ici un ou deux ans peut-être. Fatiguée d’entendre toujours le même refrain lorsqu’elle répond avec honnêteté : de toute façon, tu changeras d’avis. Tout en y pensant, elle prend un paquet de serviettes hygiéniques. C’est drôle, il y a toujours ce même petit liquide bleu présent sur les paquets. Le jour où le sang sera bleu, il faudra pourtant s’inquiéter. Elle cache le paquet sous d’autres articles, elle n’aime pas que l’on voie ça dans son chariot.

En arrivant chez elle, après avoir rangé les courses, elle file sous la douche. Il faut qu’elle se rase, ça fait plusieurs jours déjà depuis la dernière fois et ça repousse déjà. Ça la fatigue de devoir le faire alors qu’elle voudrait simplement se reposer avec sa journée de travail. En plus, ça irrite et ça gratte, mais elle a peur d’être jugée, surtout par son copain, mais aussi par les autres. Elle se dépêche, il faut encore qu’elle fasse à manger, et se coupe. Ça fait mal et en plus elle se retrouve avec des jambes laides. Bravo, se dit-elle.

Son conjoint rentre du travail. Ils mangent ensemble et finissent la soirée devant la télévision. L’actrice principale passe constamment pour une potiche qui ne pense qu’à séduire, elle l’énerve. En plus, elle a un corps de rêve, elle. Un peu comme toutes ces femmes qu’on trouve dans les publicités de parfum : toujours nues, ou dénudées, ou au moins, une tenue suggestive, un corps sculpté, doré ou d’une blancheur immaculée, des yeux à en tomber par terre. Et le parfum dans tout ça, hein?

En se couchant, elle se dit qu’elle n’a pas à se plaindre, il y a des femmes, ailleurs dans le monde, qui ne pourraient pas faire tout ce qu’elle fait, qui n’ont aucune liberté, pas même celle de conduire. Sa situation n’est pas si mal, finalement…