Élections au Nicaragua

par olivier gamelin, collaboration spéciale

Une révolution devenue l'ombre d'elle-même

Sur l’île d’Ometepe, au pied du volcan Conceptión, les habitants taillent les pierres d’assise de leur nouvelle communauté, Los Ramos, déménagée en raison des hauts risques d’éboulement volcanique. Leur objectif : faire de cette réserve de la biosphère reconnue par l’UNESCO – la plus grande île lacustre de la planète – une destination écotouristique incontournable. Le 6 novembre prochain, ils troqueront leurs outils pour le crayon et se rendront aux urnes dans le cadre des élections présidentielles et législatives du Nicaragua. Sur le continent, le président sortant, Daniel Ortega, sollicitera un quatrième mandat à la tête du parti sandiniste, jadis né d’une vague socialiste mais qui, aujourd’hui, n’est plus que l’ombre de ses idéaux d’antan.

En 1979, porté par un vent populaire qui insuffle une soif de liberté partout en Amérique latine, le guérillero Ortega renverse le pouvoir détenu par la dynastie dictatoriale de la famille Somoza depuis un demi-siècle. Chef de file d’une poignée de révolutionnaires, le nouvel homme fort du Nicaragua s’installe de facto à la « maison du peuple », sise dans la capitale, Managua. Les espoirs sont alors nombreux et les promesses pullulent : redistribution égalitaire des richesses, promotion de la santé et de l’éducation, économie mixte, pluralité politique, réforme agraire, etc. Remercié aux élections de 1990, Ortega est réélu successivement en 2006 et en 2011, après avoir amendé la Constitution pour lui permettre de briguer plusieurs mandats consécutifs.

À l’aube des élections du 6 novembre, que reste-t-il du sandinisme gauchiste et de ses inspirations révolutionnaires ? Pour l’heure, malgré certains progrès sur le plan socio-économique, le Nicaragua patine toujours au second rang (après Haïti) des pays les plus pauvres des Amériques, un Nicaraguayen sur six vit avec moins de 1,25$ US par jour, le gouvernement peine à nourrir à satiété la totalité de sa population, l’économie demeure très dépendante de l’aide extérieure, l’avortement est désormais puni par la loi, etc. Mais c’est certainement en matière de démocratie que le bilan sandiniste est le moins reluisant.

En août 2016, Daniel Ortega limoge 16 membres de l’Assemblée nationale, dont le chef du principal parti d’opposition, Eduardo Montealegre, leader du Parti libéral indépendant. Autant d’élus « rebelles » à la « cause » du chef sandiniste. Une décision paraphée par la Cour suprême de justice, réputée proche du pouvoir. Fier d’un appui populaire frôlant les 60%, Ortega a récemment indiqué qu’aucun observateur international ne serait invité à surveiller le processus électoral de novembre. En l’absence d’opposition structurée, l’indétrônable président semble désormais avoir les coudées franches pour réaliser ses projets les plus fous, dont le titanesque et controversé canal transocéanique.

Canal transocéanique

Après avoir assis sa conjointe, Rosario Murillo, sur le siège de la vice-présidence, Daniel Ortega a placé son fils, Laureano, au volant de l’organisme parapublic qui promeut le pharaonique canal transocéanique qui doit relier d’ici 2020 le Pacifique à l’Atlantique sur une distance de 278 kilomètres.

La construction de cette artère maritime nécessitera entre 50 et 80 milliards $ d’investissement (cinq fois le PIB nicaraguayen). Le contrat a d’ores et déjà été octroyé sans appel d’offre à l’obscure compagnie chinoise Hong Kong Nicaragua Canal Development (HKNCD). La première pelletée sera creusée à la fin de l’année 2016, une fois passées…les élections. À terme, 5% du trafic maritime mondial pourrait emprunter cette voie navigable qui traversera l’un des plus grands lacs et la plus importante réserve d’eau douce de l’Amérique latine, le lac Cocibolca (aussi appelé lac Nicaragua), où flotte justement l’île d’Ometepe.

Plusieurs Nicaraguayens appréhendent les dangers de déversement de produits toxiques, voire de pétrole, inhérents au passage des quelques 5000 super-navires attendus sur le lac Cocibolca chaque année. S’il s’avérait, un tel accident serait une catastrophe pour les habitants de Los Ramos qui souhaitent cultiver leur coin du monde comme un paradis perdu pour en tirer leur principal revenu de subsistance. Un souhait également embrassé par le HKNCD qui, à terme, entend expulser les habitants d’Ometepe pour y construire un complexe hôtelier de luxe.

Le 6 novembre, les 30 000 insulaires de l’île d’Omepete, de culture autochtone, déposeront donc leur bêche pour se rendre aux urnes. Dans l’isoloir, ils devront choisir entre l’écho d’un parti sandiniste devenu l’ombre de lui-même et, d’autre part, la voix de la contestation populaire, déjà visible sur les affiches électorales d’Ortega souvent peinturlurées. Un choix qui pourrait faire tomber du même souffle et le canal transocéanique, et Daniel Ortega lui-même.

chronique publiée dans le nouvelliste, édition du 15 novembre 2016, page 52.